un extrait

Genève, 26 janvier 1988, 10 h et demie du soir

Cher Jean-Luc Hennig,

Je vous écris ce petit mot avant de sortir faire le trottoir, déjà deux jours sans un seul client, ça ne va plus. Je fume la cigarette du condamné, une gauloise bleue, sans filtre dont je n’avale pas la fumée ... Je la recrache, nostalgiquement.

J’ai pris ce soir une résolution diabolique, épouvantable mais je ne puis faire autrement.

Vous savez, Jean-Luc, je suis folle. Mais à ce point-là, alors, pardon ! J’ai décidé de m’immatriculer à l’Université comme étudiante, je ne sais pas encore dans quelle Faculté. Sera-ce en sociologie, en pédagogie, en philosophie ? Puisque, hélas, la sexologie n’existe pas encore. (Le Droit, trop difficile. La médecine, trop malhonnête. La Littérature, trop con.)

Je sais que c’est un crime absolu de lèse-culture, lèse-morale, lèse-société ... Que voulez-vous, il faut frapper un grand coup. Car bien entendu, je continuerai mon métier de Courtisane, pas question d’arrêter. Il faudra bien vivre, et même payer mes études ! Et d’ailleurs ce métier doit être reconnu, respecté !

Voilà où j’en suis, ce soir, avant de revêtir la veste en vison blanc achetée à cette pauvre Lili, sans qu’elle le sache, par l’entremise de Josy ... Toutes deux mortes, happées par l’Eau-delà. Je vais affronter les taureaux de la rue, la rage au cœur car « Les Putes seront triomphantes ou ne seront pas ». C’est tout. Je vais boire un petit cognac au Café de l’Aiglon pour m’encourager ...